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Textes / Raymond Duncan

 

Raymond Duncan
 Isadora Duncan 1877-1927 
reprinted in an unidentified book

 

 

     Nous, les quatre enfants Duncan: Elizabeth, Augustin, Raymond et Isadora, nés à San Francisco, Californie, entre 1870 et 1877, étions dès notre jeune âge épris d’un grand idéal. Nous aspirions à élargir notre horizon, à nous libérer et à indiquer au monde le chemin à suivre. Isadora, notre cadette, a choisi la danse comme moyen d’expression. La première étape de sa carrière commença timidement dans les salons de New York, suivie en 1897 se son grand succès au Lyceum Theatre, dans ses productions pastorales et ses danses sur des textes d’Omar Kahayam avec le concours d’Elisabeth, Augustin et de Raymond. C’étaient des séances mémorables, car nous y avons posé les premières bases pour la Danse de l’Avenir. J’ai écrit à cette occasion « La Philosophie de la Danse », conférence lue par Elisabeth; c’était notre manifeste donnant la véritable signification à l’Art de la Danse.
 
 
     La Danse avait été reléguée aux arts mineurs; le ballet était surtout un supplément du théâtre; au music-hall et au cirque régnait l’acrobatie. Or la Danse, comme la musique, la poésie et le théâtre est un art indépendant, elle a ses possibilités particulières, elle est une source d’inspiration directe jaillissant du plus profond de notre être pour l’humanité assoiffée. A qui servent les artifices du ballet, ses techniques savantes, si elles restent comme des écorces vides et stériles, incapables de donner à l’humanité la nourriture dont elle a besoin? Le génie d’Isadora est venu avec une force de création formidable, a fait jaillir cette source, et la riche fleur de son art s’est épanouie, combien splendide... Les hommes lui en ont gardé une reconnaissance infinie et continuent de lui élever de monuments de légendes.
 
 
     En 1898, après le grand incendie de l’hôtel Windsor où nous avons perdu toutes nos possessions, nous sommes partis à Londres. Isadora y gagna tout de suite le soutien dévoué de tous les artistes et écrivains connus. Les derniers grands préraphaélites l’ont acclamée comme le symbole de la renaissance des arts. Ses programmes à la New Gallery comportaient en plus de Hymnes Homériques et des Idylles de Théocrite, du Monteverdi, Gluck et Chopin. Le même enthousiasme l’accueillit à Paris en 1900. Dans les salons de Paris (de la princesse de Polignac, Mme Ménard Dorian et de nombreux autres), elle fut reconnue et entourée par Rodin, Eugène Carrière, Mounet-Sully, Fauré, Gustave Charpentier, André Messager et d’autres. Son art s’étant développé en puissance, elle était prête pour son immense succès à Berlin en 1902, où elle affronta le grand public à Kroll Opéra avec son interprétation de « La Septième Symphonie » de Beethoven. Elle devint l’idole de Berlin, de Munich, de Vienne et de Budapest. A son retour à Paris en 1907, sa consécration mondiale est faite et elle est proclamée la plus grande artiste de la danse du monde. Sa réputation ne faisait que grandir avec chaque pays où elle se produisait. Prophète de la libération de la danse, elle incarnait aussi pour le grand public la libération de l’humanité de l’époque victorienne avec ses modes ridicules, ses jupes, corsets et chaussures et ses préjugés. Libérant son art du théâtre (décors, costume et tout artifice), paraissant devant le public pieds nus en simple petite tunique, elle prêchait une nouvelle ère d’harmonie et de beauté. Depuis 50 ans beaucoup de choses ont changé et sa légende s’établissant de plus en plus, peut-être sera-t-elle encore une inspiration pour le monde à venir ?
 
 
     Sa vie tourmentée et tragique par la mort de ses deux enfants a donné au monde l’exemple de son courage héroïque, jusqu'à ce qu’elle-même ne tombe, en
 
1927, victime d’un cruel destin, avant d’avoir terminé son œuvre. Car il faut malheureusement reconnaître qu’il ne reste rien de sa danse. Tout ce qui a été fait
 
par les soi-disant élèves ou des suivants indirects est déformé et nul. La Rythmique, l’écho indirect, n’a donné de résultats valables. Il ne reste que l’idée, le souvenir de la vision, l’idéal que quelqu’un saura peut-être réaliser un jour...
 
 
     Quand on a demandé à Isadora de tourner un film de ses danses, elle a répondu : « Non, mon art est une rêve et je veux qu’il reste comme une légende. »
 
Elle a bien dit, car depuis sa mort, dans toutes les partis du monde, il y a un culte pour Isadora, même chez les jeunes qui ne l’ont jamais connue, il existe une pieuse admiration. Comme un déesse antique elle reste vivante dans l’espace...