René Fauchois
Poëme
Où sommes-nous?... Hélas! plus rien!... Divins flambeaux
Qui guidiez autrefois l'espoir tremblant des hommes
Vous consumerez-vous toujours sur des tombeaux?
Quel hymne va jaillir de l'abîme où nous sommes?
Est-ce que les soleils cachés reparaîtront?
Le firmament, avant la naissance des astres,
Etait moins sombre et moins désert que notre front
Parmi cet ouragan de gloire et de désastres!
Quels dieux prier quand, tous, nous les avons trahis?
Sous la flamme et le fer, dans le sang et les larmes
L'oraison du croyant retombe, et les pays
Ne verront plus les dieux se pencher sur leurs armes.
Amour, splendeur de l'être et suprême vertu,
Dans quelque clair royaume inconnu de nos haines
Tu tords des fleurs autour de ton sceptre abattu
Et tu maudis la terre et les fureurs humaines!
Peut-être qu'un linceul te garde dans ses plis
Et que l’horreur emplit tes yeux d’éclairs funèbres
Et que, las des affronts, vaincu par nos oublis,
Tu goûtes le pain noir des morts dans les ténèbres!
Amour, par qui le monde aurait été si beau,
Les anges exilés et les muses absentes
Veillent-ils à jamais ton corps dans ton tombeau
En mêlant pour ton deuil leurs voix éblouissantes?
Terre promise où l'homme enfin sauvé du mal
Doit contempler sans peur les mystères sans voiles
Et vivre hors des jougs tout son destin royal,
Terre dont le parfum ravira les étoiles,
N'es tu qu'un rêve éclos au coeur naïf et fort
Des prophètes, n'est-tu qu'un mirage dont s'aide
Le caravane lasse en marche vers la mort
Pour franchir jusqu'au bout la plaine aride et laide?
Verra-t-on s'abîmer devant le rire épais
Des barbares, le beau visage de la paix?...
Non, tu luis quelque part, terre heureuse et bénie
Que l'homme éblouira de son propre génie!
Malgré les deuils tombant sur nos coeurs accablés
Nous croyons au bon pain qui naîtra de tes blés.
Nos fils mordront, un jour, dans tes fruits délectables.
Ton soleil épandra sa joie autour des tables.
Dieux, qui nous dérobez vos bénédictions,
Vous reviendrez encor sauver les nations!
Les héros pardonnés danseront sur les cîmes,
La gloire enfin aura pitié de ses victimes.
Véronique essuiera ton visage, Apollon,
Ses baisers essuieront tes pleurs! Sous ton talon
La terre pâmera! Tu secoueras la lyre;
Et les peuples pervers renieront leur délire!...
Tu réconcilieras, par la grâce du chant,
La lumière et la nuit, le bon et le méchant!
Et les anges menant la ronde des satyres
Empliront l'univers de lumière et de rires!
Car vous reviendrez tous, dieux lointains, dieux honnis,
Dieux éternels, porteurs des rêves infinis!
Les muses décloueront les pauvres mains meurtries,
Jésus!... Tu reviendras, près d'Apollon!... Patries,
Vous entendrez alors à vos foyers, mélés
Dans un frémissement joyeux d'hymnes ailés,
Les deux commandements d’amour et d'allégresse
Que promulguaient jadis la Judée et la Grèce!
Et vous obéirez, peuples!... Vous serez bons!...
Tu renaîtras, amour, tu renaîtras!... Tes bonds
Charmeront l'herbe au bord de la source ravie,
Et tu seras vaincue, ô guerre, par la vie!...